Il Avait Plu Tout le Dimanche by Philippe Delerm

Il Avait Plu Tout le Dimanche by Philippe Delerm

Auteur:Philippe Delerm [Philippe Delerm]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions du Mercure de France
Publié: 2017-06-14T22:00:00+00:00


L’histoire avec Clémence est là — comme une écharde qui s’enfonce. Mais ce n’est qu’une histoire ; elle est passée, début et fin. Monsieur Spitzweg est fait pour le présent. Il reste un peu troublé : bonheur, espoir, futur, mémoire, les mots grandiloquents, tous les mots qui font mal et qu’il croyait à jamais étouffés lui laissent une trace, un écho. C’est comme si Clémence Dufour avait lancé un caillou dans l’eau : les ondes s’amplifient, puis s’espacent. Le canal va redevenir étale, il le faut.

Monsieur Spitzweg reprend son cabas. Il va faire son marché, avenue de Saint-Ouen, et c’est dimanche. Une petite phrase de Goscinny chante en lui, lui revient de l’époque où il lisait les épisodes du « Petit Nicolas » dans le journal Pilote : « Un marché, c’est comme une cour d’école qui sentirait bon. » Des deux côtés de l’avenue, c’est une jolie cour d’école. Il fait beau, l’air a cette fraîcheur d’eau qui précède au matin les journées les plus chaudes. Avenue de Saint-Ouen, toutes les rues autour sont rassemblées : rue Marcadet, rue Championnet, rue Ordener, rue Vauvenargues, rue Lamarck. Le béret kabyle, la casquette à l’envers et le bibi désuet se côtoient sans effort. Arnold Spitzweg est là comme un poisson dans l’eau. C’est la vraie vie. Un quartier populaire. Monsieur Spitzweg est fier de son quartier. Il sait que, pas très loin, le XVIIe peut glisser jusqu’au chic froid, avenue des Ternes, parc Monceau. Il sait que, tout près, le XVIIIe peut sombrer jusqu’à la promiscuité babylonienne de Château-Rouge. Mais le marché de l’avenue de Saint-Ouen est un joli point d’équilibre. Arnold Spitzweg achète des cerises Napoléon. Il aime bien cette presque acidité du jaune brillant qui se confond avec le rose. Le vendeur lui propose d’en croquer une et Arnold se laisse faire. Il opine du chef.

— Un peu plus d’un kilo ! Je laisse quand même ?

— Laissez.

Ce que monsieur Spitzweg préfère, c’est le sac de papier brun, avec son motif imprimé en vert et rouge : des pommes, une banane, quelques fraises, et le slogan : « Mangez des fruits. » C’est bon d’arpenter les étals en croquant des cerises.

Arnold achète un artichaut — il aime bien le cérémonial de l’artichaut, la longueur de la cuisson, le dépouillement des feuilles, puis le rituel de l’assiette relevée, un couteau en dessous pour accueillir la vinaigrette, avec le fond qui reste toujours un peu poilu. Quelques aubergines vernissées (à la poêle, en tranches fines, avec de l’ail et du persil !), trois poires Williams. Des fruits et des légumes qui demandent du temps, des gestes lents, des épluchures patientes, un rinçage des mains. Monsieur Spitzweg n’est pas pressé. Ses courses seraient bien vite faites, mais, son cabas rempli, il reste là pour le plaisir, fouille dans les cassettes de musette, se demande même s’il ne va pas acheter un portefeuille à l’Africain. Souvent, un vendeur lui fait l’article, il doit avoir la tête à ça :

— Hein, monsieur, c’est bon,



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